Unis Contre l'Extrême Droite

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Le succès médiatique du FN, à comparer avec le réel

Si le fn connait un "triomphe" alors qu'est ce que l'on peut dire pour le FdG allié au FdG?

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http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1163336-la-percee-du-fn-de-marine-le-pen-aux-municipales-un-succes-plus-mediatique-que-politique.html

 

La percée du FN de Marine Le Pen aux municipales : un succès plus médiatique que politique


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LE PLUS. Progression du Front national, vote sanction contre le PS et forte abstention à gauche sont les faits marquants du 1er tour des municipales qui s’est tenu le 23 mars. Quels enseignements peuvent être tirés de ce scrutin ? Éclairage d’Erwan Lecœur, sociologue spécialiste de l’extrême droite et de l’écologie politique, co-auteur de "Face au FN. Comprendre et agir" (avec E. Poultreniez) .

Édité par Sébastien Billard  Auteur parrainé par Mélissa Bounoua

Marine Le Pen devant le siège du FN à Nanterre, le 24 mars 2014 (M. EULER/SIPA).

 

1. La bipolarisation n’est pas morte : le mode de scrutin la préserve

Sur les plateau de télévision, après l’annonce des résultats particulièrement encourageants de sa formation politique, Marine Le Pen s’est empressée de proclamer la "fin de la bipolarisation de la vie politique". Une analyse politique qui n’en est pas vraiment une mais qui a été reprise ensuite par différents analystes. À tort.


Cette manière de lire les résultats de ce premier tour est une faute. La tripartition est surtout un espoir de reconnaissance, un élément de langage de Marine Le Pen au service de sa stratégie politique. Elle voudrait devenir le principal parti d’opposition, sans avoir de responsabilité nulle part, géré aucune ville, ni aucun autre échelon.
 
En premier lieu, si le FN réalise bien une percée réelle bien que relative, du fait du mode de scrutin, le champ politique reste bel et bien bipartisan, avec le PS d’un côté et l’UMP de l’autre, majoritaire dans la plupart des villes. Contrairement à ce qui a pu être dit, s’il y a bien des triangulaires (et depuis longtemps), il n’y a pas de "tripartition" du jeu politique au soir du 23 mars.

 

La règle est toujours la même : il faut une majorité pour gagner l’élection. Et c’est pourquoi le FN emportera moins de villes que bien d’autres forces politiques : Europe Écologie - les Verts, le Front de gauche ou l'UDI.

 

Et surtout, quel que soit le résultat de dimanche prochain, le nombre d’élus locaux PS et UMP sera sans commune mesure avec ceux qu’obtiendra le FN, malgré sa progression. Il y aura aussi plus d’élus municipaux écologistes, ou Front de gauche, ou UDI, que FN dans les communes et les intercommunalités du pays, au soir du 30 mars. 


Parler de tripartition est donc une erreur aussi sur ce point, car le FN n’est pas la seule force politique émergente et en progrès. Il faudrait dans ce cas au moins évoquer une quadripartition, comme à Grenoble, ou dans d’autres villes.

 

L'écologiste Eric Piolle est arrivé en tête au 1er tour à Grenoble, le 23 mars 2014 (V. SERRE/SIPA).

 

Car EELV fait encore mieux qu’aux municipales précédentes à ce scrutin (11,6% pour ses candidats en autonomie) et se maintient au-dessus des 10% depuis 2008 (sauf à la présidentielle) et souvent devant le FN. Et même le Front de gauche emporte bien plus de postes et peut réaliser de bons scores dans un certain nombre de villes. Les médias semblent choisir de passer sous silence cette donnée pour n’évoquer que le FN.

 
Et si on envisage plutôt les résultats finaux du deuxième tour et qu’on considère le nombre d’élus locaux, le FN ne sera donc pas vraiment la troisième force politique de notre pays, comme il n’a pas été la seconde force politique au soir du 21 avril 2002. Un résultat – et même plusieurs – ne confèrent pas la place d’un parti. Il ne s’agit pas d’un tiercé.  


Et on sent bien qu’il y a un côté course de sac un peu potache (et un peu sur l’air de "Au secours, le FN arrive !") dans cette façon de lire le champ politique, qui masque la réalité principale : derrière la désaffection des partis traditionnels, il y a plusieurs concurrents en lice pour remplacer à terme les deux partis en place dans ce système majoritaire strict, sans proportionnelle réelle.

 

La question n’est pas de savoir qui est le "troisième parti" qui va gêner l’un ou l’autre des deux premiers en lui volant des voix, mais qui sont les partis qui vont concurrencer les deux en place dans les années à venir et quand ils pourraient prendre la place. Le FN en est un, peut-être, ou une forme proche à l’avenir. Mais il n’est pas le seul en progrès, ni le seul à pouvoir proposer une "vision" radicale.

2. La "percée" du FN : plus médiatique que politique


La progression du FN est réelle dans les urnes. Il ne s’agit aucunement de la nier. Et l’implantation dans les esprits se forge au fil du temps, comme sur le terrain. Toutefois, la surprise de ces municipales mérite d’être nuancée, sur plusieurs plans.

 

D’abord parce que la stratégie n’est pas neuve ; c’est en tous points celle appliquée en 1995 par Bruno Mégret, avec des effets à peu près semblables dans les résultats, s’ils se confirment au second tour. Ensuite, comme le 21 avril 2002, c’est surtout la faiblesse de la gauche et la force de l’abstention qui font la force du FN.

 

Enfin, on est assez peu surpris par ces résultats : on attendait cet "accident" comme on attend le déroulement d’une histoire un peu écrite à l’avance, sans en connaître l’ampleur exacte. Il y a un effet médiatique qui a joué un rôle de loupe, avant et après le scrutin.
 
Médias et analystes politiques se sont focalisés sur le parti de Marine Le Pen aussitôt les premiers résultats connus. On a eu un peu l’impression d’un "storytelling" qui s’est mis en place et répété à plusieurs reprises depuis le 21-avril, puis avec l’arrivée de Marine Le Pen à la tête du parti, fin 2010, et qui revient à chaque nouveau sondage, comme une façon de faire vivre un peu le microcosme.


Les appels à la mobilisation et les accusations de "faire le jeu du FN" entre PS et UMP sont devenus des classiques. La campagne anti-FN "morale" également. Et on sent que de moins en moins de gens prennent tout cela au sérieux.

 

Le "monstre gentil" de la vie politique française


Dans les faits, si le FN progresse indéniablement en voix et en élus, on sait qu’il n’y aura pas de raz-de-marée FN au second tour (à l’échelle de 36.000 communes). Marine Le Pen ne le souhaite d’ailleurs pas forcément.

 

Elle espère certes plus d’élus locaux pour consolider son implantation locale, faire passer ses idées et la servir en vue des présidentielles. Mais, comme son père avant elle, elle ne veut pas trop de maires de grandes villes, car ils seraient susceptibles de contrebalancer son pouvoir au sein du parti. Et son véritable objectif sont les européennes, où elle peut faire un score important et arriver en tête de toutes les listes. Ce serait un événement important, un message très particulier envoyé à nos partenaires européens, au monde.

Cette attirance des médias pour l’objet politique FN s’explique par le fait que Marine Le Pen est d’abord une opération de communication politique lancée en 2002 et réussie pour le FN, qui a toujours été une affaire familiale et une entreprise de spectacle politique. La nouvelle présidente est assez peu idéologue et son arme principale est médiatique.

 

On la regarde d’ailleurs sous cet angle, en appréciant le numéro d’actrice, qui mène les spectateurs à jouer inconsciemment au jeu des 7 erreurs, dans lequel on la compare avec son père ; ce qui en fait une sorte de Casimir, de "monstre gentil" de la vie politique française : elle ressemble au monstre (son père), mais en un peu plus "gentil".

 

Beaucoup de journalistes ont ainsi trouvé qu’elle était "plus sympa" que son père... La dédiabolisation doit beaucoup à leur mansuétude pour cette "fille de".

 

Marine et Jean-Marie Le Pen lors d'un meeting à Marseilles, le 15 septembre 2013 (F. DEFOSSEZ/SIPA).

 

On peut aussi expliquer l’intérêt particulier des médias par le fait que le FN incarne une force de nuisance, comme un accident dans la vie politique. À l’inverse, EELV, qui progresse cette fois encore et qui pèse souvent autant dans les urnes et parfois plus en termes de résultats, fait plutôt le choix de s’allier au PS pour prendre des responsabilités au niveau local, régional, ou national.

 

C’est leur ligne : face à l’urgence, il veulent pouvoir agir. Au risque de décevoir, parfois. Mais avec des réussites, aussi, que les édiles socialistes mettent à leur bilan.  


Le FN préfère dénoncer et imposer des triangulaires, bloquer, ou en appeler au complot du "système". Du coup, on parle plutôt du FN, même s’il n’a pas de pouvoir réel. Et on ne parle pas, ou peu, des écologistes, qui en ont beaucoup plus dans les faits et qui ont transformé des villes, des politiques régionales, ou nationales.

 

Comme si un parti devait s’opposer systématiquement, jouer le carte médiatique à outrance, dénoncer et refuser les responsabilités pour exister aux yeux des médias, qui n’aiment pas les trains qui arrivent à l’heure.

3. Derrière le désarroi politique, une remise en cause du clivage droite/gauche


Si la poussée du FN doit être un peu nuancée en termes médiatique, l’abstention, elle aussi en progression au plan global, est un fait qui mérite d’être analysé de près. Car on se trouve ici face à une abstention de plus en plus sélective, porteuse de sens et qui pourrait, un jour, nourrir le vote blanc, s’il n’y avait pas d’évolution de l’offre.


On observe en effet que c’est surtout une partie du peuple de gauche, celui qui a élu François Hollande, qui se sent trahie et qui ne s’est pas rendue aux urnes. Elle a ainsi adressé un message à l’exécutif.  

 

À l’inverse, ce que je nommerais le peuple des fâchés ne s’est pas abstenu ; encouragé par les prévisions qui donnaient le FN en progrès, il s’est même mobilisé et a entraîné une participation forte, par laquelle il a pu adresser un message aux politiques, les mettre dans une situation d’instabilité, leur dire combien ils ne croient plus au clivage droite/gauche et rejoint en cela les appels lepénistes à renverser la table.
 
Dans la lignée des scrutins précédents, cette abstention et une partie de vote FN témoignent d’un désarroi et d’une colère politique : les deux partis qui se partagent les responsabilités, le PS et l’UMP, concentrent à tour de rôle tous les pouvoirs mais avec une légitimité provenant d’une minorité d’électeurs (moins d’un quart de la population française chacun).

 

Les affaires, de Cahuzac à Sarkozy, ont mis à nouveau le pays dans une ambiance de "tous pourris" qui fait les choux gras du FN, depuis plus de vingt ans.
 
Une société qui se polarise et se crispe

 

Plus largement, ce que montre à nouveau ce scrutin, c’est que ces deux partis pourraient être menacés à terme par des forces sociologiques émergentes et concurrentes, voire opposées en bien des points : une tendance "fachistoïde", populiste cocardière, contre une vision "alternative-écologiste". Ces tendances se retrouvent dans de nombreux pays, sous des formes diverses.

 

Leur émergence est parfois ralentie par le peu de relais sociaux dont elles disposent, mais aussi par l’absence de discernement des observateurs médiatiques et les règles du jeu politique : mode de scrutin, lourdeur du système centralisé des partis et poids de l’élection présidentielle sur les représentations.

 

Cette recomposition n’en est encore qu’au stade de contestation un peu marginale, mais elle apparaît au travers d’une société qui se polarise et se crispe, au profit de ces challengers des partis en place, porteurs de visions du monde plus "radicales". On voit s’exprimer ces tendances dans les enquêtes qualitatives, dans les nouveaux comportements, les aspirations à des "valeurs".

 

On les voit aussi apparaître un peu lors de consultations où le vote proportionnel peut produire quelques effets : municipales, régionales, mais surtout européennes. Les dernières (en 2009) ont vu les écologistes emporter une victoire d’estime. Les prochaines, en mai, s’annoncent très favorables au lepénisme. Et les médias pourront à nouveau entonner l’air de la catastrophe annoncée...
 

 

Propos recueillis par Sébastien Billard



26/03/2014

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