«Prix Nobel d’économie appelant à la fin de l’euro : Paul Krugman (2008), Joseph Stiglitz (2001), Thomas Sargent (2011), Christopher Pissarides (2010), James Mirrlees (1996), Amartya Sen (1998), Milton Friedman (1976).»

Le Front national dans son dossier «Tout ce qu’il faut savoir sur la fin de l’euro»

INTOX. Les Nobel contre l’euro et avec le FN ? Le Front national a dégainé en début de semaine sur son site internet son argumentaire anti-monnaie unique. Une quinzaine de pages censées apporter la preuve des méfaits de l’euro et de l’urgence d’une sortie. Pour légitimer sa thèse, le parti a convoqué une brochette d’économistes nobélisés qui, selon lui, «appellent à la fin de l’euro». Vraiment ?

DESINTOX. Premier cité, Paul Krugman. L’économiste américain, eurosceptique dès l’origine, est assurément l’un des plus critiques sur la monnaie unique. Mais peut-on dire qu’il milite pour sa fin ? Le FN a sélectionné un extrait d’une chronique du Prix Nobel 2008 où il déclare : «Dans les années 30, la condition primordiale pour sortir de la crise a été l’abandon de l’étalon-or. L’équivalent aujourd’hui serait d’abandonner l’euro et de revenir aux monnaies nationales.» Si on va un peu plus loin que le FN dans la lecture, Krugman ajoute : «Une telle initiative peut paraître inconcevable - et sans doute aurait-elle des effets terriblement perturbateurs sur les plans économique et politique. Mais ce qui est vraiment inconcevable, c’est de continuer sur la même voie en imposant des plans d’austérité toujours plus durs à des pays ayant des taux de chômage comparables à celui de l’Amérique pendant la crise de 1929.» Ce qui donne davantage le ton de la chronique, qui est plus une charge contre les politiques d’austérité qu’un appel à sortir de l’euro, jamais formulé, à la différence du vœu d’un changement d’orientation politique : «L’Europe a besoin d’une politique monétaire plus expansionniste, avec une volonté affirmée de la Banque centrale européenne (BCE) d’accepter une légère hausse de l’inflation. Elle a aussi besoin d’une politique budgétaire expansionniste.» Au jeu des petites phrases extraites des interviews, le FN aurait pu aussi mentionner cette déclaration de Krugman dans l’Express de septembre 2012 à propos des conséquences d’une disparition de l’euro : «Imaginez des dettes libellées dans une monnaie qui n’existe plus. Je pense que la zone basculerait dans une récession sévère pendant un an avant que les pays ne retrouvent le moyen de poursuivre leurs échanges. Du point de vue politique, ce serait grave : l’échec du plus grand projet de l’Histoire et le discrédit jeté sur des dirigeants impliqués dans le maintien de l’ancien système sonneraient l’heure des insurrections populistes et nationalistes.»

Il en va de même pour Joseph Stiglitz. Dans l’extrait choisi par le FN, le Prix Nobel 2001 écrit : «Si l’Allemagne et les autres ne veulent pas faire ce qui est nécessaire, alors il faudra peut-être abandonner l’euro pour sauver le projet européen.» Il est amusant que le Front national ait retenu cet article récent dont le titre est… «Un agenda pour sauver l’euro». Stiglitz y recense surtout les pistes pour sortir de l’impasse, en substance : politique industrielle, modification des orientations de la banque centrale, soutien à la croissance.

Le FN appelle aussi à la barre le Britannique Christopher Pissarides. Désintox s’était déjà attelé à corriger, il y a quelques semaines, l’affirmation du Front national selon laquelle le Prix Nobel 2010, autrefois chaud partisan de la monnaie unique (ce qui est vrai), voudrait désormais sa fin (ce qui l’est moins). Le 12 décembre, à la London School of Economics, Pissarides a donné une conférence intitulée «l’Europe fonctionne-t-elle ?» Dans sa leçon, il a dressé le constat d’une monnaie qui «empêche la croissance et la création d’emplois, et qui divise l’Europe». Il a également affirmé que l’hypothèse d’une sortie de la zone euro serait un moindre mal par rapport à la situation actuelle. Mais pour mieux marquer la nécessité d’un virage à 180 degrés. La conclusion de sa conférence aura échappé aux responsables du FN : «Faut-il démanteler ou sauver [la zone euro] ? Je pense qu’il faut la sauver.»

Pour autant, quelques économistes cités dans le document du Front national y sont parfois affirmatifs quant aux bienfaits d’une sortie de l’euro… mais le fait est que c’est à propos d’autres pays que la France. Paul Krugman écrit ainsi que Chypre «doit quitter tout de suite la zone euro», alors que Thomas Sargent, Prix Nobel 2011, estime, lui, que «les pays les plus faibles peuvent sortir de l’euro». James Mirrlees, Nobel 1996 écrit lui aussi qu’un pays doit revenir à sa monnaie nationale. Mais dans l’extrait, il parle de l’Espagne. 

Cédric MATHIOT