Les petits préfabriqués sont collés les uns aux autres et numérotés à la peinture verte. Des fils électriques et des tuyaux serpentent entre les antennes de télé sur les toits en tôle ondulée rafistolés par des planches en bois. Devant chaque baraquement, une caisse sert de marchepied. Il y a des rideaux aux fenêtres, une plante verte à la porte, des vêtements qui sèchent au soleil avec des gosses cachés derrière. A l’entrée du terrain Voltaire à Saint-Denis, où vivent 55 familles de Roms, il y a aussi une boîte aux lettres fermée par un cadenas, dans laquelle les habitants ont trouvé mardi les 81 cartes électorales qu’ils avaient demandées. Depuis une semaine, ces documents envoyés en vue des municipales électrisent la campagne opposant deux candidats de gauche dans ce fief communiste de Seine-Saint-Denis.

C’est une histoire compliquée à démêler qui a envenimé encore l’affrontement entre le sortant Didier Paillard et son adversaire socialiste, le député Mathieu Hanotin. Mercredi dernier, le candidat PS a mis en cause l’inscription sur les listes électorales de certains de ces Roms roumains, annonçant avoir saisi le tribunal d’instance pour fraude. «Je n’ai pas publié de tracts, je n’ai pas attisé les haines, j’ai juste fait un recours pour demander la vérification et éventuellement la radiation des 48 personnes qui n’ont pas de justification de domicile», accuse Hanotin selon lequel ces Roms n’ont pas signé la convention de la mairie prouvant qu’ils vivent sur le terrain. «La mairie a établi une liste de 76 personnes habitant là. Parmi les inscrits comme électeurs, il y en a 48 qu’on ne retrouve nulle part», pointe le socialiste.

Selon l’équipe de Didier Paillard, le terrain mis à disposition par l’Etat en avril 2012 accueille 205 personnes, expulsées deux ans auparavant du campement du Hanul. Elles vivent sur la commune depuis au moins cinq ans. «Si Hanotin avait pris la peine de se rendre sur place, il aurait remarqué qu’ils étaient bien plus que 76», rétorque-t-on. Ce chiffre cité par le socialiste correspond, d’après la mairie, au groupe de Roms originaires de Tulcea. Deux autres groupes venant de deux autres régions de Roumanie ont été comptabilisés sur des listes à part. «Hanotin a récupéré une des trois listes. Quand on tombe sur un doc Excel, mieux vaut ouvrir tous les onglets», moque-t-on dans l’entourage de Paillard. Le député PS ne se démonte pas: «La mairie a beau jeu de dire a posteriori qu’il y a d’autres listes, c’est trop facile. Et un tableau n’a jamais fait une preuve de domicile.»

«Comme si les pauvres ne pouvaient pas réfléchir seuls»

Mais Hanotin pousse plus loin ses accusations. Il estime que l’inscription des Roms a été orchestrée par des proches du maire, faisant peser le soupçon de «contreparties» en échange de leur vote. «Je ne dis pas que des agents de la mairie ont fait ce travail mais des associations comme le MRAP, proches du PCF. Ce sont les mêmes qui tractent pour Didier Paillard.»

Bénévole du collectif de soutien aux Roms et membre du MRAP (mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples), Agnès Cluzel explique, elle, accompagner les habitants pour «l’accès à leurs droits, l’aide médicale, l’école, l’emploi. La question du droit de vote est venue comme une évidence.» Elle raconte qu’en décembre, les associations ont proposé aux Roms qui le souhaitaient de les aider dans leur démarche d’inscription sur les listes. Les bénévoles ont distribué les formulaires et vérifié les pièces d’identité (factures EDF, quittances de loyer, etc.). Puis les dossiers ont été déposés à la mairie. «La démarche de Mathieu Hanotin est politicienne alors que nous, on est dans l’humain, charge Agnès Cluzel. Il dit que ces "pauvres gens" ont été manipulés comme si les pauvres ne pouvaient pas réfléchir seuls.» L’intéressé rétorque que l’inscription des Roms n’a pas relevé d’une démarche individuelle, ce qu’exige la loi, et rappelle que «les demandes groupées sont interdites pour protéger les citoyens qui pourraient être soumis à des pressions». Hanotin accuse carrément son rival d’«instrumentaliser la misère humaine à des fins électorales. C’est dégueulasse.»

«Un camp des sortants fébrile et prêt à tout»

Le camp Piquard, qui dit assumer «une proximité de valeurs et de combat avec les associations de défense des Droits de l’homme», réplique en reprochant au député PS de stigmatiser les Roms et de piocher ses arguments au Front national. Ils renvoient au blog du candidat FN, Didier Labaune, qui relayait le 12 février une rumeur selon laquelle «24 enfants Roms seraient inscrits» sur les listes de Saint-Denis. «Hanotin fait campagne sur la propreté, la sécurité et les Roms, et il se dit de la gauche du PS?», s’étonne un proche du maire sortant qui rappelle que Paillard a appelé à une union PS-PCF, refusée selon lui par le jeune socialiste de 35 ans, proche de Claude Bartolone. «Il y a 43031 électeurs à Saint-Denis et lui, il remue ciel et terre pour 48 mecs», assène-t-on encore chez les communistes.

Le candidat PS, remonté contre un «camp des sortants fébrile et prêt à tout», répond qu’il a «bien pesé les choses avant» de déposer sa plainte. Et a même réfléchi à l’hypothèse d’un recours pour demander l’invalidation de la municipale: «Si j’avais attendu pour parler de ces inscriptions frauduleuses et si l’élection se joue à trente voix, le juge pourrait alors me demander pourquoi je n’ai pas fait un recours pendant la campagne.» Signe qu’à Saint-Denis chacun s’attend à un scrutin serré.

Laure EQUY