Unis Contre l'Extrême Droite

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L'histoire glaçante de l'extrême droite en France

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L’histoire (glaçante) de l’extrême droite française

Publié le 18 mars 2014

Stéphane Mazurier raconte…

Le parti de Marine Le Pen pourrait devenir le premier parti de France aux élections européennes. Face à cette perspective glaçante, il est plus que jamais nécessaire de rappeler l’histoire nauséabonde de l’extrême droite française. C’est ce qu’a fait pendant six mois l’historien Stéphane Mazurier dans Siné Mensuel.

Première partie : 1789 – 1814

Au temps de la cocarde noire

Cette histoire pleine de bruit et de fureur a commencé avec la Révolution de 1789, sur les bancs de l’Assemblée constituante, en même temps qu’est né le clivage gauche-droite. À gauche du président de l’Assemblée s’étaient rassemblés les députés favorables à une sérieuse limitation des pouvoirs du roi, tandis qu’à droite siégeaient ceux qui souhaitaient que son autorité soit maintenue. Quelque deux cents individus se sont placés le plus à droite de la chambre : ils exigeaient que le roi redevienne le monarque absolu qu’il était naguère. Ceux-là vomissaient les profondes avancées sociales et politiques qui venaient d’être décidées : l’abolition des privilèges et des droits féodaux lors de la nuit du 4 août, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen trois semaines plus tard…

Alors que la formule « Ancien Régime » commençait à être employée, les députés d’extrême droite rêvaient du rétablissement de cet ordre ancien, fondé sur l’inégalité juridique, le respect des hiérarchies et la toute-puissance de l’Église catholique. On les appelait les « Aristocrates », en raison de leur origine sociale dominante, ou bien les « Noirs », en référence à la cocarde noire, choisie par opposition à la cocarde tricolore des révolutionnaires. Leurs plus redoutables orateurs étaient des nobles, comme « Mirabeau-Tonneau », frère du comte de Mirabeau et réputé à la fois pour ses calembours et son penchant pour la boisson, ou bien de riches calotins, comme l’abbé Maury. Ce dernier s’est illustré en s’opposant catégoriquement à l’émancipation des Juifs et des esclaves noirs. Les idées défendues par ces pionniers de l’extrême droite se sont diffusées notamment par la presse : L’Ami du Roi, de l’abbé Royou, est par exemple la réplique à L’Ami du peuple, de Marat. Quant aux Actes des apôtres, il s’agit sans doute du premier journal pamphlétaire et satirique d’extrême droite auquel a participé Antoine de Rivarol(1). Pour certains de ces pionniers de l’extrême droite, la Révolution française est le résultat d’un complot fomenté par les francs-maçons, les protestants et les philosophes des Lumières ; pour d’autres, elle est l’expression de la colère de Dieu qui s’est abattue sur un royaume peuplé de pécheurs.

 

Cette extrême droite naissante est donc réactionnaire, profondément nostalgique d’un monde disparu, d’un prétendu âge d’or où les braves sujets du royaume étaient censés aimer tendrement leur bon roi. Elle s’emploie ainsi à tout mettre en œuvre pour balayer la Révolution et à en écraser les principes de liberté et d’égalité. C’est là particulièrement l’ambition des émigrés, surtout ceux qui ont fui le pays dès le lendemain de la prise de la Bastille, comme un des petits frères de Louis XVI, le comte d’Artois(2). Ces émigrés ont mené un intense lobbying auprès des souverains européens pour convaincre ceux-ci d’entrer en guerre contre la France. Bien planqués en Suisse, en Angleterre, en Italie ou en Allemagne, ils n’ont donc pas payé le plus lourd tribut de la Terreur, en 1793-1794. Beaucoup ont d’ailleurs pu revenir en France sous Bonaparte, lequel leur avait promis l’amnistie en échange de l’allégeance. Mise sous l’éteignoir durant la dictature napoléonienne, l’extrême droite ultra-royaliste et ultra-catholique triomphe à partir de 1814 et de l’abdication de l’Empereur. Elle n’a alors pas fini de faire chier le monde.

(1) Ce nom vous dit peut-être quelque chose : Rivarol est aussi le nom d’un hebdo d’extrême droite qui sévit depuis 1951.
(2) Futur Charles X, dernier roi de France sacré à Reims en 1824. Un peu de patience, je vous en parlerai le mois prochain.

Deuxième partie : 1814-1848

Le retour des morts-vivants

À peine Napoléon avait-il abdiqué, le 2 avril 1814, que des dizaines de milliers d’émigrés en profitèrent pour rentrer à la maison. Parmi eux, le nouveau roi de France, Louis XVIII, désigné par l’ennemi, et son petit frère, le comte d’Artois, qui s’était enfui dès juillet 1789(1). Ce dernier rassemble autour de lui les pires réactionnaires de l’époque : pour la plupart, des nobles et des prêtres qui n’ont qu’un seul désir, purger la France des valeurs révolutionnaires et restaurer la monarchie absolue et la société des privilèges. C’est pourquoi ils pestent contre la Charte élaborée par Louis XVIII le 4 juin 1814 : cette espèce de Constitution octroyée par le roi entend en effet préserver quelques acquis de la Révolution. Ces extrémistes de droite prennent vite le nom d’« ultras », c’est-à-dire d’« ultra-royalistes », qui sont en quelque sorte « plus royalistes que le roi », selon le mot de Chateaubriand. Contraints de quitter à nouveau la France pendant les Cent-Jours(2), les ultras reviennent plus déterminés que jamais après Waterloo. L’esprit de vengeance s’abat sur les bonapartistes, mais aussi sur les républicains : c’est la Terreur blanche. Ainsi, dans le Midi, les « verdets », en référence à la cocarde verte du comte d’Artois, assassinent des centaines de personnes durant l’été 1815, avec la neutralité bienveillante des autorités. Il faut dire qu’à partir du mois d’août, la Chambre des députés compte une écrasante majorité de députés ultras, élus notamment grâce à un suffrage très restreint, puisque seuls les 100 000 Français les plus imposés ont alors le droit de vote. Pendant une année, les ultras au pouvoir instaurent une véritable Terreur légale : loi d’épuration judiciaire et administrative, loi de sûreté générale suspendant la liberté individuelle, exil des « régicides », c’est-à-dire des députés ayant voté la mort de Louis XVI en 1793, etc.

L’ultracisme est intimement lié au catholicisme, c’est même un « parti-prêtre », disent ses adversaires, un mouvement qui n’a de cesse que de renouer avec la séculaire « alliance du trône et de l’autel ». Le comte d’Artois est ainsi un bigot patenté. Les plus fameux théoriciens ultras, Joseph de Maistre et Louis de Bonald, ne conçoivent pas la société indépendamment de Dieu. L’ultracisme dispose par ailleurs de sociétés secrètes comme les Chevaliers de la Foi, mais aussi d’une puissante association religieuse, contrôlée par le pape, la Congrégation. Quand le vieux Louis XVIII finit de pourrir sur son trône en 1824, les ultras triomphent : leur champion, le comte d’Artois, devient roi sous le nom de Charles X et se donne pour mission d’abroger les « lois impies de la Révolution »(3). Comme un monarque d’Ancien Régime, Charles X est sacré roi en 1825 dans la cathédrale de Reims, pour mieux signifier l’origine prétendue divine de son autorité. La même année, les ultras adoptent la loi du sacrilège, qui punit de mort le vol de tout objet du culte. Ils font également placer l’enseignement sous la tutelle exclusive de l’Église, laquelle tisse sa toile sur tout le territoire à travers des processions, des cérémonies expiatoires à la mémoire de Louis XVI. Enfin, toujours en 1825, est votée la loi dite du « milliard des émigrés », permettant l’indemnisation de ceux qui avaient fui la Révolution française.

Cette déferlante réactionnaire ne prend fin que grâce à la Révolution de 1830 qui, si elle instaure la sinistre monarchie bourgeoise de Louis-Philippe, a quand même pour effet de chasser du pouvoir Charles X et l’extrême droite. Exilés ou plus souvent retranchés dans leurs propriétés rurales durant la monarchie de Juillet (1830-1848), les ultras se font désormais appeler « légitimistes », car le seul roi légitime à leurs yeux ne saurait être qu’un Bourbon, en l’occurrence celui qu’ils appellent Henri V, petit-fils de Charles X et prétendant au trône de France depuis la mort de ce dernier en 1836. Les légitimistes, éternels nostalgiques de l’ordre ancien, reçoivent d’ailleurs une mémorable branlée lors de la première élection présidentielle, consécutive à la Révolution de 1848. Leur candidat, Nicolas Changarnier, militaire qui s’est illustré par des massacres de Kabyles lors de la conquête de l’Algérie, n’obtient même pas 5 000 voix, soit 0,06 % des suffrages ! L’extrême droite est-elle donc morte en 1848 ?                  

(1) Cf. Siné Mensuel n° 24, octobre 2013.
(2) Période d’environ trois mois (avril-juin 1815) au cours de laquelle Napoléon est revenu au pouvoir.
(3) Expression employée par le vicomte de Bertier, fondateur des Chevaliers de la Foi.
 

Troisième partie : 1871-1914

Les métamorphoses du monstre

Pendant la vingtaine d’années que dure le Second Empire, l’extrême droite légitimiste(1), qui rêve de briser la Révolution de 1789, est en sommeil, étouffée par une implacable dictature policière. C’est la défaite contre la Prusse, en 1871, qui lui permet de se réveiller avec fracas : à la demande du chancelier Bismarck, des élections législatives ont été organisées en février, et elles sont une divine surprise pour les légitimistes, qui obtiennent près de 200 sièges. À l’extrême droite de cette droite extrême, se distinguent environ 80 députés, appelés les « chevau-légers ». Ces derniers, issus majoritairement de la vieille noblesse de l’Ancien Régime, sont déterminés à rétablir une monarchie chrétienne, gouvernée par un comte de Chambord qui serait devenu roi sous le nom d’Henri V. Ainsi, un des leurs, un certain Édouard de Cazenove de Pradines, demande, le 13 mai 1871, « des prières publiques dans toute la France pour supplier Dieu d’apaiser les discordes civiles », au moment où la Commune de Paris se dresse contre cette Assemblée monarchiste. Certes, l’intransigeance du comte de Chambord, qui, dans son manifeste du 7 juillet, refuse d’adopter le drapeau tricolore(2), épargne la France d’une nouvelle restauration de la royauté. Mais la volonté de revanche des catholiques les plus réactionnaires aboutit à la mise en place d’une politique d’« Ordre moral », selon les termes du président de la République à partir de mai 1873, le maréchal Mac Mahon, qui en appelle à « l’aide de Dieu ». L’Ordre moral se définit d’abord par une politique ultrareligieuse, symbolisée par l’édification de la basilique du Sacré-Cœur à Montmartre, visant à « effacer les crimes » de la Commune de Paris écrasée deux ans plus tôt, mais aussi par de nombreux pèlerinages à Lourdes, au Mont-Saint-Michel, à Paray-le-Monial. L’espoir d’un rétablissement de la royauté ne s’efface que très progressivement, à mesure que les républicains gagnent du terrain aux différents scrutins qui suivent et que les « chevau-légers » rejoignent par conséquent les poubelles de l’histoire.

Dans les années 1880, l’extrême droite entame sa transformation : elle fait ainsi partie de la coalition hétéroclite qui, à la fin de la décennie, soutient l’ancien ministre de la Guerre, le général Boulanger, en qui elle voit un homme providentiel, susceptible de permettre une Restauration monarchique, mais encore d’être un « général Revanche » menant une guerre victorieuse contre l’Allemagne. Parmi les boulangistes les plus convaincus, se trouvent Paul Déroulède et sa Ligue des patriotes, premier véritable mouvement nationaliste de la droite extrême. C’est en effet à cette époque que les idées de nation et de patrie, nées plutôt à gauche sous la Révolution française, sont confisquées par la droite la plus radicale : le nationalisme se fonde alors sur le rejet de l’autre, de l’immigré, du « métèque » et bientôt du Juif. À la suite de Déroulède, Charles Maurras défend, dans son mouvement, l’Action française, qu’il fonde en 1898, un « nationalisme intégral », réclamant le rétablissement d’une monarchie chrétienne et vomissant la République, les francs-maçons, les étrangers et les Juifs. Les Juifs sont en effet devenus une nouvelle cible privilégiée de l’extrême droite, notamment depuis la parution en 1886 du pamphlet antisémite d’Édouard Drumont : La France juive. L’Affaire Dreyfus, qui éclate véritablement en 1898, offre une tribune de choix à cette extrême droite antisémite. Le capitaine Dreyfus est forcément coupable de trahison et d’espionnage pour le compte de l’Allemagne, puisqu’il est juif, répètent à longueur d’articles des intellectuels haineux tels que Drumont, Maurras, mais aussi Maurice Barrès ou Léon Daudet. Au tournant du siècle, l’extrême droite a donc achevé sa mue : elle n’est plus seulement contre-révolutionnaire, elle est aussi xénophobe, antisémite, et n’hésite plus à déverser ses torrents de haine dans de nombreux journaux, comme l’hebdomadaire de Jules Guérin, au titre explicite – L’Antijuif – ou le quotidien L’Action française(3). Quand la Grande Guerre commence, en 1914, la plupart de ses membres se rangent aux côtés de l’Union sacrée, non pas pour défendre une République honnie, mais pour que la France prenne enfin sa revanche contre les Allemands et mène une sorte de croisade catholique contre les hérétiques teutons. Le conflit est déclenché quelques heures après l’assassinat d’un infatigable avocat de la paix : le 31 juillet, Jaurès est assassiné au Café du Croissant par un ultranationaliste illuminé nommé Raoul Villain. La boucherie qui en découlera va accélérer la métamorphose de l’extrême droite.

(1) Les légitimistes veulent placer sur le trône de France le petit-fils de Charles X, le comte de Chambord, membre de la branche aînée des Bourbons. Cf. Siné Mensuel n° 25, novembre 2013.
(2) Il écrit en effet que « Henri V ne peut abandonner le drapeau blanc de Henri IV ».
(3) Créé en 1908 par Maurras à partir de son mouvement du même nom.

Quatrième partie : 1920-1939

Un fascisme made in France ?

L’un des plus terribles effets de 14-18 est sans doute l’irruption d’un nouveau type d’extrême droite : le fascisme. Si ses idées nauséabondes ont été essentiellement appliquées en Italie et en Allemagne, elles ont connu un certain écho dans la France de l’entre-deux-guerres. Comme chez nos voisins totalitaires, l’extrême droite française a pu compter sur le soutien financier de quelques capitalistes effrayés par la « menace bolchevique » : Henri Taittinger, fondateur du champagne bien connu, est ainsi le créateur, dès 1924, des Jeunesses patriotes, héritières de la Ligue des patriotes de Déroulède(1). L’année suivante, le parfumeur milliardaire François Coty, propriétaire du Figaro(2), finance Le Faisceau, premier parti français à se réclamer ouvertement du fascisme italien(3). Il participe également à la création, en 1927, des Croix-de-Feu, organisation ultranationaliste d’anciens combattants, que dirige quelque temps plus tard le colonel de La Rocque(4). Coty décide, en 1933, de fonder son propre mouvement, ouvertement xénophobe, Solidarité française. Enfin, c’est un de ses proches, l’ancien séminariste et ancien combattant François Bucard, qui, la même année, donne naissance au Parti franciste, qui s’efforce de singer au mieux le fascisme mussolinien. Au combat électoral, les ligues préfèrent les combats de rue, surtout contre les communistes. Elles tiennent également de grands meetings et organisent d’inquiétants défilés paramilitaires. À partir du début des années trente, cette extrême droite se nourrit grassement de la crise économique et sociale, mais aussi de la faiblesse et des dysfonctionnements de la IIIe République. L’affaire Stavisky est ainsi à l’origine des fameuses manifestations du 6 février 1934, organisées par toutes ces nouvelles ligues d’extrême droite, auxquelles on peut adjoindre un groupe plus ancien, Les Camelots du roi, sorte de bras armé de l’Action française de Maurras(5).
Deux ans plus tard, le Front populaire est porté au pouvoir et l’une de ses premières décisions est d’ordonner la dissolution de ces ligues d’extrême droite. Toutefois, cette interdiction ne suffit pas : à peine les Croix-de-Feu sont-elles déclarées hors la loi que le colonel de La Rocque les remplace par le Parti social français, qui devient vite un parti de masse, avec au moins 500 000 adhérents. Dans le même temps, Jacques Doriot, ancien maire communiste de Saint-Denis, crée le Parti populaire français, qui puise autant son inspiration dans l’Italie fasciste que dans l’Allemagne nazie. D’ailleurs, l’antisémitisme redevient un élément central du discours de l’extrême droite, qui déverse sa haine sur Léon Blum et ses origines juives. Dans son journal, Maurras qualifie Blum de « détritus humain » et appelle à le « fusiller, mais dans le dos ». Car l’extrême droite ne se limite pas aux ligues ni aux partis : elle dispose d’une presse pamphlétaire, avec Gringoire et Je suis partout. Elle est représentée par de nombreux intellectuels, comme Drieu la Rochelle et surtout Céline, qui publie en 1937 son premier brûlot antisémite, Bagatelles pour un massacre. Elle peut enfin prendre la forme d’organisations terroristes, comme le Comité secret d’action révolutionnaire – alias La Cagoule(6) – dont le principal titre de gloire est d’avoir assassiné, en juin 1937, deux militants antifascistes italiens, les frères Rosselli. En définitive, lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, jamais l’extrême droite française n’a semblé aussi puissante. Ça promet.

(1) Cf. Siné Mensuel, n° 25, novembre 2013.
(2) Par rapport au Figaro de Coty, celui de Dassault apparaîtrait presque comme une feuille gauchiste.
(3) Le nom de ce parti est une référence directe aux Faisceaux italiens de combat, mouvement créé par Mussolini en 1919.
(4) Un jeune étudiant en droit, François Mitterrand, a été membre de ces Croix-de-Feu entre 1935 et 1936.
(5) Cf. « Au bout de la rue, à droite », Siné Mensuel, n° 16, janvier 2013.
(6) Ian Hamel rappelle l’engagement cagoulard d’Eugène Schueller, fondateur de L’Oréal, dans le précédent Siné Mensuel.
 

Cinquième partie : 1940-1944

« Travail, famille, patrie »(1)

Si l’on excepte le gouvernement « ultra » dans les années 1820(2), l’extrême droite française n’a exercé le pouvoir qu’entre 1940 et 1944, au temps de l’Occupation allemande et du gouvernement de Vichy. L’extrême droite a toujours prospéré sur les malheurs du temps : c’en est ainsi en 1940 quand, après avoir été balayée en cinq semaines par l’armée allemande, la France, par la voix chevrotante du maréchal Pétain, demande l’armistice à Hitler. Cette débâcle a des effets politiques dévastateurs : réunis à Vichy, le 10 juillet, les parlementaires votent à une très large majorité les pleins pouvoirs à Pétain, signant ainsi la mise à mort de la République et de la démocratie. Le nouveau régime apparaît comme une terrifiante synthèse de tous les courants d’extrême droite depuis 1789. Contre-révolutionnaire, il remet en question l’égalité des droits et les libertés fondamentales, au profit du respect des hiérarchies et de l’autorité. Clérical, il ne cesse d’honorer les prélats et de vanter l’éternelle France chrétienne, celle des clochers et des mères au foyer. Enfin et surtout, Vichy met en application l’idéologie d’exclusion de l’extrême droite ultranationaliste et antisémite, sous les applaudissements nourris de Charles Maurras pour lequel l’arrivée au pouvoir de Pétain constitue une « divine surprise ». Cette exclusion légale cible notamment les communistes, les francs-maçons et, bien sûr, les Juifs. Sans aucune pression de l’occupant allemand, le gouvernement de Vichy élabore dès octobre 1940 une première loi sur le statut des Juifs, les excluant notamment de la fonction publique et de la presse.

Dès ses premières semaines d’existence, le régime a choisi la collaboration d’État avec le IIIe Reich. Toutefois, aux yeux de certains Français éblouis par le nazisme, Pétain est trop modéré : c’est l’extrême droite « molle ». Ces fous furieux, appelés collaborationnistes, déversent leur haine dans des torchons comme Je suis partout où écrivent Robert Brasillach et Lucien Rebatet, auteur en 1942 d’un insoutenable pamphlet antisémite, Les Décombres. Les plus déterminés, comme Jacques Doriot, chef du PPF(3), s’engagent dans la Légion des volontaires français contre le bolchevisme et partent combattre l’URSS aux côtés de la Wehrmacht. Sous l’impulsion de Laval(4), dauphin désigné de Pétain, le gouvernement de Vichy se rapproche de cette extrême droite « décomplexée » à partir de 1942-1943 : la police française se rend complice de la déportation des Juifs vers les camps d’extermination, la Milice, organisation paramilitaire, devient l’auxiliaire des nazis dans leur traque des résistants, et certains collaborationnistes finissent même par entrer au gouvernement, comme Marcel Déat(5).

Au printemps 1944, la Libération provoque l’effondrement du dernier gouvernement d’extrême droite que la France ait connu. La bête est-elle morte pour autant ?

(1) Devise de l’État français, nom officiel du gouvernement de Vichy. Cette formule, remplaçant « Liberté, égalité, fraternité », a été inventée avant la Seconde Guerre mondiale par les Croix-de-Feu du colonel de La Rocque (cf. Siné Mensuel n° 27, janvier 2014).
(2) Cf. Siné Mensuel n° 25, novembre 2013.
(3) Parti populaire français, cf. Siné Mensuel n° 27.
(4) Laval affirme, dans un discours du 22 juin 1942,
qu’il « souhaite la victoire de l’Allemagne car, sans elle, demain, le bolchevisme s’installerait partout ».
(5) Ancien ministre socialiste, Marcel Déat a fondé en 1941 un parti fasciste concurrent du PPF de Doriot, le Rassemblement national populaire.
 

Sixième et dernière partie : 1945-1972

Aux sources du Front

En 1945, l’extrême droite, identifiée à Vichy et donc à la trahison et à la collaboration, est à genoux. Si certains collabos ont réussi à passer entre les gouttes de l’épuration – comme Marcel Déat(1), réfugié chez des bonnes sœurs italiennes, Louis Darquier de Pellepoix, gentiment accueilli par Franco, ou René Bousquet, qui se lance dans les affaires après avoir bénéficié d’un jugement très clément(2) – les principaux dignitaires de l’ancien régime, notamment Pétain, Laval et Darnand, fondateur de la Milice, ont été condamnés. Néanmoins, à peine le fascisme est-il vaincu que lui succède un néofascisme, fort heureusement confidentiel. On pense par exemple à Jeune Nation, mouvement fondé en 1949 par des pétainistes, parmi lesquels un certain Pierre Sidos, dont le père, membre de la Milice, a été condamné à mort à la Libération. Ce n’est cependant pas avec ces nostalgiques de l’Occupation que l’extrême droite refait surface, une dizaine d’années après la guerre, mais avec des petits-bourgeois réactionnaires et populistes, regroupés autour d’un papetier du Lot, Pierre Poujade. Son organisation, l’Union de défense des commerçants et artisans, fait ainsi son entrée à l’Assemblée nationale après les élections de 1956. Parmi la cinquantaine de députés élus figure le jeune Jean-Marie Le Pen, ancien d’Indochine. Celui-ci abandonne au bout de quelques mois son siège au Palais-Bourbon pour s’engager dans une nouvelle guerre coloniale, en Algérie cette fois. La guerre d’Algérie est d’ailleurs l’occasion pour les ultranationalistes de s’enflammer pour une nouvelle cause politique, et de créer, en 1961, l’Organisation armée secrète, qui multiplie les attentats au nom du maintien à tout prix de l’Algérie française. Les membres de l’OAS sont notamment défendus par l’avocat Jean-Louis Tixier-Vignancour, ancien sous-ministre de Pétain, et qui est, en 1965, le premier candidat d’extrême droite à l’élection présidentielle, avec Le Pen comme directeur de campagne.

Si Tixier-Vignancour obtient un score non négligeable de 5 %, ce sont cependant des jeunes qui, à la même époque, incarnent le réveil de l’extrême droite. En 1964, Pierre Sidos, le fondateur de Jeune Nation, crée le mouvement Occident, auquel adhèrent des gamins nommés Gérard Longuet, Patrick Devedjian et Alain Madelin. En ces temps de guerre froide, Occident se définit avant tout par son anticommunisme virulent et fait régulièrement le coup de poing contre les jeunes trotskistes et maoïstes. Dissous après Mai 68, Occident renaît rapidement sous le nom d’Ordre nouveau, en hommage implicite au IIIe Reich(3). Violemment hostile aux immigrés, cette organisation décide, en 1972, de changer de stratégie et de passer du combat de rue au combat électoral. Les dirigeants d’Ordre nouveau s’emploient alors à fédérer les diverses composantes de l’extrême droite : anciens de l’OAS, comme Roger Holeindre, étudiants nationalistes du Gud, anciens collabos de la division SS Charlemagne, et même anciens poujadistes, dont Jean-Marie Le Pen, alors retiré de la vie politique, mais qu’Ordre nouveau place à la tête du Front national, avec la certitude qu’il ne sera qu’un président éphémère, une simple tête de gondole pour les élections législatives de l’année suivante.

En fait, Le Pen est resté presque quarante ans le chef suprême du FN. L’extrême droite, groupusculaire au début des années 70, a atteint le second tour de la présidentielle de 2002. Elle risque, dans quelques jours, de remporter une bonne dizaine de municipalités puis, lors des élections européennes, de devenir le premier parti de France. Deux-cent vingt-cinq ans après la Révolution, jamais l’extrême droite n’a rassemblé autant d’électeurs et ne semble donc pas près de rejoindre les poubelles de l’histoire.

(1) Cf. Siné Mensuel, n°28, février 2014.
(2) Darquier de Pellepoix était le commissaire général aux questions juives sous Vichy ; Bousquet, en tant que secrétaire général à la police, a été l’organisateur de la rafle du Vél’ d’Hiv’ en 1942.
(3) « L’ordre nouveau » était, pendant la Seconde Guerre mondiale, une expression employée par les nazis pour signifier l’hégémonie allemande sur l’Europe.
 


25/03/2014

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